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Thierry Janssen : rendons à Einstein ce qui est à Einstein

Thierry Janssen
Publié le 14/03/2016 à 13:05 Modifié le 20/10/2023 à 13:54
Thierry Janssen : rendons à Einstein ce qui est à Einstein

Dans le numéro de Psychologies de mars 2016, Thierry Janssen partageait une lettre attribuée à Albert Einstein, destinée à sa fille Lieserl, et qui s'est révélée être un faux. Ce mois-ci, il revient sur ce qui l'avait amené à la partager et sur les conclusions qu'il a tirées de ce canular.

À la suite de la lecture de la «  Carte blanche  » que j’ai consacrée à une lettre que je croyais écrite par Albert Einstein à sa fille Lieserl (Psychologies, mars 2016), une fidèle lectrice de Psychologies m’a envoyé un courriel pour me dire que, d’après ses recherches sur Internet, le document auquel je faisais référence est un faux. J’ai aussitôt essayé de vérifier la véracité de cette information. J’aurais pu le faire avant de rédiger ma « Carte blanche », me direz-vous. C’est vrai. Cependant, la personne qui m’a envoyé la copie de cette lettre attribuée à Einstein me paraissait digne de la plus grande confiance. Professeure de physique, celle-ci m’a fait découvrir, il y a longtemps déjà, un recueil de textes (pour le coup réellement écrits par le père de la théorie de la relativité), publié sous le titre Comment je vois le monde (Flammarion). L’humanisme et l’ouverture spirituelle que j’ai perçus à la lecture de ce très beau livre m’ont laissé penser que les propos tenus par Einstein à sa fille étaient plausibles. Car, même si le style de ce courrier n’a rien de scientifique, il véhicule un magnifique message d’amour comme nous pourrions tous en écrire dans la sphère de notre vie privée.

Qu’apprend-on sur le Net ? Que cette lettre ferait partie d’un ensemble de documents légués par la belle-fille d’Einstein à l’université hébraïque de Jérusalem et rendus publics en 2006. Michèle Zackheim – l’une des biographes d’Albert Einstein – dément l’existence de ce courrier et précise que la petite Lieserl fut une enfant née hors mariage qu’Einstein n’a probablement jamais élevée, dont l’existence n’a été connue que tardivement et qui, handicapée mentale, serait morte en bas âge. La lettre que j’ai partagée avec vous serait donc bien un canular. Dès lors, j’ai appelé la personne qui me l’a fait connaître pour lui dire ma consternation. Aussi surprise que moi, celle-ci m’a avoué avoir, elle-même, reçu cette lettre via un courriel.

Une fois de plus, la fiabilité de l’information qui circule sur le Net se révèle peu élevée. Tout journaliste le sait : il est absolument indispensable de vérifier ses sources. En tant que chroniqueur invité à partager un avis, une réflexion ou une humeur, je n’ai pas pris cette précaution. Je le regrette profondément, car découvrir que ce beau texte sur l’amour est un faux déforce un propos que je trouve pourtant juste et inspirant. Il me paraît dommage que l’auteur de ces lignes n’ait pas eu le courage d’en assumer la paternité. Comme s’il fallait la caution d’un prix Nobel de physique pour parler de « l’ultime réponse » qu’est l’amour.

J’aimerais profiter de ces lignes pour rendre à Einstein ce qui est à Einstein. Car l’homme ne fut pas seulement une intelligence hors pair. Il fut aussi un humaniste, défenseur de la paix, végétarien, militant pour le droit des hommes et des animaux, un amoureux de la vie, une âme inspirée par ce qu’il appelait une « religiosité cosmique ». Comme vous, sans doute, j’aurais beaucoup aimé connaître son avis à propos de cette lettre apocryphe.

Pour aller plus loin

Thierry Janssen, chirurgien devenu psychothérapeute, nous invite à penser autrement pour se soigner différemment. Il a fondé l’École de la présence thérapeutique (edlpt.com). Dernier ouvrage paru : Confidences d’un homme en quête de cohérence (Pocket).