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Ce que l’on peut apprendre de l’épidémie de peste noire du Moyen-Âge

Alors que les pandémies de peste noire et de COVID-19 sont séparées par plus de 600 ans, et que les sociétés touchées ne sont pas les mêmes, il est possible de dresser des parallèles entre ces deux épisodes... et peut-être même d'en tirer quelques leçons.

Une illustration représentant un enterrement de victimes de la peste en Belgique.

Enterrement de victimes de la peste à Tournai. Détail d'une miniature des « Chroniques et annales de Gilles le Muisit », abbé de Saint-Martin de Tournai, Bibliothèque royale de Belgique. La peste noire qui sévit en Europe à partir de décembre 1347 a décimé entre 30 % et 50 % de la population du continent.

Photo : Wikimedia Commons (Domaine public)

  • Laureen Laboret

« Moi, ce qui m’a étonnée comme chercheuse, c’est le goût de la vie des survivants de la peste. Ils ont rebâti leur société sous tous les angles et ils l’ont fait de manière très optimiste », souligne Francine Michaud, professeure émérite en histoire médiévale à l’Université de Calgary.

On estime que l’épidémie de peste noire a fait des ravages en éradiquant entre 30 et 50 % de la population de l’époque. Malgré ce drame, c’est la résilience de la société de l’époque qu’il faut retenir. Retour sur certains faits saillants.

Naissance d'une pandémie

La pandémie de COVID-19 que nous connaissons aujourd'hui est due à un virus qui, selon le site de l’Organisation mondiale de la santé, était inconnu avant l’apparition de la flambée à Wuhan en décembre 2019. Même si l’origine exacte du nouveau coronavirus fait encore débat, il semblerait donc provenir de Chine.

En ce qui concerne la peste noire, les chercheurs ont longtemps cru que la bactérie à l’origine de la maladie venait également de Chine, mais en 2016, une équipe de scientifiques allemands retrace la souche originelle autour de la mer Caspienne, en Asie occidentale. Ce qui explique pourquoi la propagation de la maladie s’est faite si rapidement à partir des comptoirs génois établis dans la mer Noire, à Caffa, détaille Francine Michaud.

Photo représentant le bacille de la peste, Yersinia pestis.

Alors qu’aujourd’hui la pandémie de COVID-19 ne semble pas avoir été provoquée par la volonté humaine, le bacille Yersinia pestis, bactérie à l’origine de la peste, semble avoir été utilisé comme arme bactériologique.

Photo : Rocky Mountain Laboratories, NIAID, NIH

COVID-19 : tout sur la pandémie

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Une représentation du coronavirus.

Les navires génois qui ont amené la peste jusqu’à Marseille, au sud de la France, étaient régulièrement en contact avec des peuples tatars et mongols dans leur comptoir commercial fortifié de Caffa (aujourd’hui Théodosie ou Feodossia), en Crimée. Les hordes de soldats tatars avaient commencé par être infectées par le bacille de la peste et en partie décimées. Ils ont catapulté les personnes infectées de leurs rangs à l’intérieur du comptoir fortifié des Génois, explique Francine Michaud.

À l’hiver 1347, les navires génois infectés arrivent dans le port de Marseille, et la maladie commence à se propager dans la ville, parmi, notamment, les couches populaires, selon les testaments de l’époque.

Illustration représentant un conseil de rats dans un navire.

Illustration de Gustave Doré pour la fable Conseil tenu par les rats de Jean de La Fontaine. Les rats ont été le principal vecteur de la peste puisqu'ils se trouvaient dans les navires génois infectés arrivés à Marseille à la fin de 1347.

Photo : Wikimedia Commons (Domaine public)

Les autorités se rendent compte assez rapidement qu’elles ont affaire à une maladie extrêmement virulente puisque le pic de la peste est atteint en mars 1348 dans la ville. La question de l’hygiène est soulevée, tout comme les problématiques de proximité et de densité de la population. 

Tout le monde prend donc ses distances avec tout le monde.

Les prêtres qui donnaient l’eucharistie aux mourants les administraient à l’aide de baguettes.

Une citation de Francine Michaud, professeure émérite en histoire médiévale à l’Université de Calgary

Distanciation physique

Devant le mal qui se propage, les autorités européennes tentent donc de mettre en place des mesures de distanciation physique. Il n’y a pas de documents pour Marseille, mais en Italie, on prend des mesures au fur et à mesure de la progression de la maladie. On demande aux gens de rester chez eux, d’éviter les attroupements et surtout autour des cortèges funèbres, explique la professeure. 

Illustration d'un médecin portant un costume surmonté d'un grand bec, pour se protéger des malades de la peste.

Médecin durant une épidémie de peste à Rome au 17e siècle (gravure de Paul Fürst, 1656).Les masques n'existaient pas au 14e siècle, mais le costume du "Docteur bec” a été inventé au 17e siècle pour se protéger des malades de la peste. Les médecins mettaient un mélange d’herbes aromatiques, de fleurs ou d’épices dans le bec du costume pour repousser les mauvaises odeurs, considérées à l’époque comme la cause principale de l’épidémie.

Photo : Internet Archive’s copy of Eugen Holländer

À la fin du 14e siècle, des mesures de quarantaine systématique vont être mises en place. On interdisait le commerce, l’afflux d’étrangers dans la ville ou bien on limitait avec des sauf-conduits exceptionnels... bien évidemment, il y avait toujours des passe-droits, reconnaît la professeure.

Du Portugal à l’Écosse, en passant par l’Irlande, jusqu’en Italie, on était conscient que c’était très contagieux.

Une citation de Francine Michaud, professeure émérite en histoire médiévale à l’Université de Calgary
Peinture représentant des commerçants installés en rond autour d'une place marchande, dans l'Europe médiévale.

Scène de foire dans Le chevalier errant de Thomas de Saluces, vers 1403. D’un point de vue économique, des mesures d’urgence sont mises en place assez rapidement, notamment pour contrôler les salaires, les prix et pour limiter au maximum les tentatives de spéculation.

Photo : Bibliothèque nationale de France © gallica.bnf.fr

Un besoin de trouver des coupables

Comme dans tout événement qui nous échappe, et nous effraie, des théories du complot voient le jour, afin de tenter d’expliquer l’inexplicable. La première cible? Les juifs. C’étaient ceux qui avaient comploté avec le diable pour contaminer les puits d’eau ou alors ils étaient en contact avec les musulmans, des non-chrétiens, explique la professeure.

Tableau illustrant un massacre de juifs dans la France de 1348.

Tableau d'Émile Schweitzer représentant les habitants de Strasbourg, en France, massacrant des habitants juifs de la ville, le 14 février 1349, après des allégations les identifiant comme coupables de propager la peste noire.

Photo : Domaine public / Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg

La répression vient des populations plutôt que des élites. Ces dernières essayaient, au contraire, de limiter les dégâts et de protéger les juifs comme ils le pouvaient. Le pape Clément VI émet une ordonnance pour interdire les massacres de juifs, rappelant que Jésus était un Juif, ajoute l’historienne.

Illustration d'une femme tirant des corps entreposés sur une charrette.

Plague: carting the dead, lithographie de J.Moynet d'après L.Duveau. Les étrangers pauvres étaient une autre cible de choix. Ils se faisaient réprimer, attaquer, et condamner au bûcher.

Photo : Wellcome collection (domaine public)

Le rôle de l’Église

Pour autant, et malgré la gravité de la situation, Francine Michaud l’affirme, il ne semble pas y avoir eu de panique, pas d’effet d'hystérie collective, pas de croyance soudaine en l’apocalypse. Même si certains chroniqueurs de l’époque ont évoqué cette dernière.

Cependant, pour faire face, les peuples se sont tournés vers la religion et ont organisé des processions religieuses. Le clergé était réticent, car il savait que de tels rassemblements pouvaient contribuer à la propagation de la maladie.

Les gens avaient besoin de se rassembler, de prier collectivement.

Une citation de Francine Michaud, professeure émérite en histoire médiévale à l’Université de Calgary

Le besoin d’être ensemble se fait également ressentir après l’épidémie, lors du Grand Jubilée de Rome, en 1350. Dans les consciences de l’époque, ce pèlerinage était une occasion de prier pour les défunts, mais aussi pour les survivants et... ce qui attendait la société dans les mois et années à venir. 

Une fresque du pape Clément VI.

Fresque de Mario Giovanetti dans la chapelle Saint-Martial (14e s.). Le pape Clément VI craignait d'autoriser le grand pèlerinage de 1350 à Rome (Grand Jubilé), de peur que la peste ne se propage parmi les fidèles. Il céda à la pression populaire et laïque et constata avec soulagement qu'il n'y eut aucun effet néfaste à la suite du rassemblement.

Photo : Wikimedia Commons (Domaine public)

Ce pèlerinage international est autorisé avec beaucoup de réticence par le pape.

Une société devenue plus égalitaire

À l’heure de la reconstruction, c’est une société qui tente de se réinventer. On voit émerger une société plus égalitaire, notamment en Angleterre, puisque cela contribue à mettre fin au servage, dit Francine Michaud.

Par ailleurs, elle raconte que l’on voit une meilleure répartition des ressources jusqu’à un certain point.

Des effets sur la foi des fidèles se font aussi sentir, avec le sentiment de davantage de liberté. La population ne se laissait plus dicter sa foi par la hiérarchie de l’Église, conclut l’historienne.

Alors que la société se relève lentement de la tragédie, il ne faut pas oublier qu’il y a eu une quinzaine de retours de la peste jusqu’à la fin du Moyen-Âge. Mais à chaque fois, la maladie était moins virulente et le taux de mortalité, moins important.

Avec la contribution de Mylène Briand

Notre dossier COVID-19 : ce qu'il faut savoir
  • Laureen Laboret

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