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Reportage

La Havane, un patrimoine en danger

Fondée en 1519 par les Espagnols, La Havane a attiré en plus de 500 ans d’existence aventuriers, pirates, entrepreneurs, intellectuels et artistes du monde entier. Aujourd’hui encore, la capitale cubaine séduit les visiteurs venus des quatre coins de la planète. Mais La Vieille Havane est en danger. Bien qu’inscrits en 1982 sur la liste du patrimoine mondial de l’humanité par l’Unesco, les magnifiques édifices historiques risquent de s’effondrer.

Les effondrements de bâtisses historiques font chaque année des victimes, La Havane, avril 2023.
Les effondrements de bâtisses historiques font chaque année des victimes, La Havane, avril 2023. © Stefanie Schuler/RFI
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De notre envoyée spéciale,

Un jeune homme marche au milieu d’une rue dans le centre historique de La Havane. Il ne lâche pas du regard les étages des édifices coloniaux qui longent son chemin, s’écarte seulement quand un automobiliste klaxonne pour demander le passage. « Marcher sur les trottoirs, près de ces bâtiments, peut vous coûter la vie ici », lâche-t-il.

« La Havane a sa propre personnalité. C'est une ville cosmopolite depuis ses débuts. En raison de sa situation géographique dans les Caraïbes, elle est devenue très vite un point stratégique pour les Espagnols en Amérique latine : sa baie, puis son port avec ses fortifications ont fait d’elle un tremplin vers d’autres territoires d’Amérique qui ont été colonisés par la suite », explique Michael Gonzalez qui nous reçoit dans son bureau au Musée de la Ville de La Havane, dont il est le directeur. Pendant des siècles, La Havane a accueilli des navires du monde entier : « Les bateaux ont apporté des personnes et leurs idées qui se reflètent encore aujourd’hui dans la multitude des styles architecturaux. Il y a bien sûr l’influence africaine par l’arrivée – involontaire - des esclaves. Il y a l’influence européenne, pas seulement des Espagnols mais aussi des Français, des Allemands et des Italiens. Il y a l'influence asiatique, avec une migration chinoise constante, notamment au cours du XIX siècle. Sans oublier la très importante présence musulmane en provenance du Liban, de l'Égypte et de la Syrie. Chacun a apporté son monde et ses visions et a ainsi enrichi la ville. Pour moi, la magie de La Havane réside dans son authenticité, dans la façon dont elle a réussi à absorber toutes ces tendances pour les faire siennes et en forger ainsi sa propre identité : celle d'une ville cosmopolite, portuaire et ouverte au monde. C’est ça, l’ADN de La Havane ».

Cette identité unique au monde a valu au centre historique de la ville d’être inscrit, en 1982, sur la liste du patrimoine culturel de l’humanité par l’Unesco. « Nous avons des bâtiments d'influence baroque, gothique, éclectique, néoclassique », énumère Michael Gonzalez. « Tous ces styles se mélangent et ont été adaptés à la réalité cubaine : aux matériaux de construction cubains, au niveau de formation des ouvriers qui les ont mis en œuvre. La ville, que toutes ces personnes ont construite à travers les siècles, est d’une très grande qualité architecturale. La construction de ses bâtiments majestueux était possible grâce à la fortune accumulée par le commerce du sucre et du café. Le XIXème et le XX siècle ont également laissé leurs empreintes sur La Havane, avec des immeubles d’influences Art Nouveau et Art Déco. Quand on se balade dans les rues de la ville on est entouré d’une sorte de concert symphonique de tous ces styles architecturaux ».

La Havane tombe en ruine

Les visiteurs sont en effet subjugués par la beauté du centre historique, où se mélangent pierres et couleurs pour former une harmonie parfaite. Mais seules quelques rues et places ont été restaurées au cours des dernières décennies pour briller aujourd’hui de leur éclat retrouvé. « On va soigner l’apparence mais on ne s’occupe pas du reste. On veut donner aux touristes l’impression que la ville est magnifique. Mais ce n’est pas vrai. Elle est magnifique sur un kilomètre carré. Le reste est détruit ».

Les travaux de rénovation ne concernent qu'une toute petite partie de La Havane.
Les travaux de rénovation ne concernent qu'une toute petite partie de La Havane. © Stefanie Schuler/RFI
La Havane peine à cacher la misère.
La Havane peine à cacher la misère. © Stefanie Schuler/RFI

Dès que l’on quitte l’hyper-centre touristique, La Havane offre en effet un tout autre visage. C’est là qu’habite Rafael qui nous reçoit dans sa maison du XVIIIe siècle. « Je suis né en 1955, ici même, dans cet immeuble », raconte ce sexagénaire. « Quand j’étais petit, c’était une très belle rue ici. Mais maintenant c’est tout détruit. Notre maison aussi commençait à tomber en ruines. Mais le mari de ma sœur et moi, nous l’avons rénovée. Désormais, tous les habitants de cet immeuble se cotisent pour pouvoir réparer l’escalier ou le moteur de la pompe à eau, si jamais il devait tomber en panne. Pourtant ce bâtiment ne nous appartient pas. L’immeuble est gratuit, nous ne payons pas de loyer, ni d’impôts. Et pourtant on fait des réparations. Le balcon du deuxième étage que nous avons dû stabiliser avec une poutre pour qu’il ne tombe pas. Nous avons fait part du danger aux autorités. Mais personne n’est venu ; et au final, le balcon est resté tel quel ».  

Dans le voisinage de Rafael, les édifices coloniaux ont perdu de leur superbe. Les vieux escaliers en marbre importé il y a quatre cents ans d’Espagne ne tiennent plus qu’à un fil. Les façades sont fissurées. Certaines affichent même des trous béants à travers lesquels les yeux impudiques des passants peuvent apercevoir ici une cuisine, là une chambre à coucher.

Façades délabrées, délabrées, maisons vétustes, voire abandonnées composent l'autre visage de La Havane.
Façades délabrées, délabrées, maisons vétustes, voire abandonnées composent l'autre visage de La Havane. © Stefanie Schuler

L’insuffisance de logements, un facteur aggravant

« Beaucoup de gens arrivent des zones rurales cubaines », explique encore Rafael. « Quand ils voient un bâtiment insalubre et abandonné, ils l’investissent pour se loger. Même s’il peut y avoir beaucoup d’habitants dans un tel immeuble, ils n’ont pas les moyens nécessaires pour l’entretenir. Généralement ils dépensent tout leur argent pour acheter à manger ».

La grave crise économique que traverse Cuba ne fait qu’aggraver l’état de délabrement de certaines bâtisses historiques de La Havane. La ville souffre d’une pénurie chronique de logement. A la fin des années 1970, L’Oficina del historiador, Le Bureau de l’historien, lance un grand plan directeur pour restaurer La Havane. Le projet est reconnu dans le monde entier comme un exemple de sauvetage non seulement du patrimoine matériel mais aussi du patrimoine immatériel de la ville. Mais plus de 40 ans après ses débuts, les défis restent immenses.

« Il est évident que le centre historique de La Havane fait face à une forte densité de population et que la problématique du logement reste la plus grave et la plus critique à laquelle nous sommes confrontés », reconnait Michael Gonzalez, directeur du Musée de la ville. « Un pourcentage très élevé de bâtiments sont toujours en très mauvais état. Notre plan directeur prévoit donc des solutions. La première, c’est la construction de logements sociaux à l’intérieur même d’édifices historiques. Ces logements sont dédiés aux familles vulnérables afin qu’elles ne quittent pas le centre de la Vieille Havane. Partout dans le monde, les centres historiques des villes se vident de leurs habitants pour se transformer en grandes foires à touristes. Ce n’est pas le cas à La Havane. Ici, les gens vivent toujours dans le centre historique. Et le plan de restauration s’est fixé comme objectif de maintenir justement cette population dans la Vieille Ville pour qu’elle continue à y vivre et à y travailler. La deuxième solution c’est la construction de nouveaux logements en dehors du centre historique pour alléger la pression sociale qui existe dans la Vieille Havane. Nous essayons toujours de trouver des solutions. Mais la situation est difficile ».

En 2019, à l’occasion du 500e anniversaire de La Havane, le président cubain, Migu Diaz Canel, avait reconnu qu’il manquait 700 000  logements pour une population qui compte aujourd’hui plus de 2 millions d’habitants. Mais il n’y a pas que le Bureau de l’Historien ou le gouvernement avec l’aide de partenaires internationaux qui construisent à La Havane.

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Dans une petite ruelle pavée une dizaine de maçons sont en train de monter de nouveaux murs dans l’enceinte d’une maison historique dont seule la façade tient encore debout. Ici un particulier investit dans la construction d’un hôtel. « Le dénoyautage implique la démolition totale de l’ancienne bâtisse, à l’exception des murs porteurs. Nous avons conçu des plans à partir desquels nous reconstruisons en ce moment la structure complète d’un tout nouvel immeuble », raconte le chef de chantier.« Normalement le chantier d’un bâtiment de cette taille dure entre un an et demi et deux ans. La durée va dépendre aussi des matériaux. Tout le monde connaît les difficultés que nous rencontrons à Cuba pour trouver des matériaux de construction. Certains d’entre eux sont disponibles mais ils sont utilisés pour la construction de logements sociaux. Cela rend plus difficile l’avancement d’un chantier privé comme le nôtre. Pour nous l’accès aux matériaux de construction est très difficile, il faut donc prendre notre mal en patience ».

Des effondrements de plus en plus nombreux

Les investissements du secteur touristique ne sont pas forcément du goût des Havanais. La construction d’hôtels ainsi que les locations de chambres ou d’appartements particuliers aux étrangers ont provoqué une flambée des loyers. « Il n’y a plus de locations pour les Cubains ! Ici, les locations sont pour les touristes maintenant ! », s’insurge ce père de famille. « Et quand vous trouvez une location, c’est très dur. Moi, par exemple, je paye 5 000 pesos par mois, 40 euros. Ça ne vous semble peut-être pas beaucoup mais ça correspond à deux mois de salaire. Et encore : j’habite en banlieue ! Les loyers peuvent aller jusqu’à 15 000 pesos dans les quartiers comme le Vedado ».

Pour sa collègue, qui habite dans un immeuble vétuste avec d’autres familles, la crise du logement à La Havane et l’état de délabrement avancé de nombreux édifices historiques sont la conséquence de l’inaction des autorités : « On ne voit pas le moindre signe d’amélioration. Je ne sais pas moi, on pourrait commencer par améliorer l’état des rues ! Ou réparer l’escalier de notre immeuble ! Mais même pas ! Il n’y a aucune amélioration. On ne fait que reculer ! ».

En tant que membre du Bureau de l’historien et directeur du musée de la ville, Michael Gonzalez comprend l’impatience de ses concitoyens, mais souligne les raisons qui, selon lui, expliquent les lenteurs constatées : « La restauration de bâtiments anciens qui ont une valeur patrimoniale est toujours beaucoup plus coûteuse et complexe que celle de bâtiments récents. La restauration d’un édifice ancien nécessite la recherche de bois et de pierres qui respectent le style architectural de l’époque. Et cela coûte beaucoup d’argent. Pour Cuba, ce coût est double, en raison de sa situation socio-économique : le pays est soumis à l’embargo américain. Cet embargo rend très difficile l’obtention de prêts ou de financements par des banques et institutions internationales.  À cause de l’embargo des États-Unis, nous ne pouvons pas non plus accéder au marché américain pour acheter des matériaux de restauration. Tout ça ralentit et rend beaucoup plus difficile les travaux de restauration ».

En attendant, dans de nombreuses rues de la Vieille Havane, la situation empire, constate le sexagénaire, Rafael : « Il y a moins d’un an, un immeuble s’est partiellement effondré. Trois enfants qui passaient par là sont morts quand le balcon de la maison leur est tombé dessus. Et dernièrement encore, dans la rue Neptuno, un bâtiment colonial s’est totalement effondré. Cette fois, heureusement, il n’y a pas eu de victimes. Pourtant des grosses pierres sont tombées de plusieurs mètres de haut sur la rue. Le gouvernement avance toujours l’excuse de l’embargo américain. Mais on a marre de cet argument ! ça fait des décennies que l’embargo existe ! Chaque effondrement d’un immeuble cause des morts ou des blessés ».

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