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Les « anthropométries » scandaleuses d’Yves Klein

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Publié le 03 juillet 2020 à 14h55, modifié le 05 juillet 2020 à 05h31

Temps de Lecture 12 min.

Répétition de la performance « Anthropométrie de l’époque bleue », d’Yves Klein à la Galerie internationale d’art contemporain, à Paris, en 1960.

Dans son appartement bruxellois, entourée de chats, Elena Palumbo-Mosca, octogénaire au doux visage cerclé de boucles blanches, raconte, sans omettre un détail, l’étonnante performance à laquelle elle a participé à l’âge de 25 ans. C’était il y a soixante ans, le 9 mars 1960, rue Saint-Honoré, à Paris, à 22 heures, à la Galerie internationale d’art contemporain.

Ce soir-là, son fondateur, le comte Maurice d’Arquian, célèbre un artiste niçois de 31 ans, Yves Klein. Celui-ci s’est déjà fait un nom, et un surnom : « Yves le Monochrome », référence évidente à ses tableaux totalement bleus. Deux ans plus tôt, à la galerie Iris Clert, à Saint-Germain-des-Prés, il invitait les visiteurs à passer sous un dais bleu, siroter des cocktails au bleu de méthylène avant d’entrer dans une salle vide aux murs rigoureusement blancs. Scandale immédiat.

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Rive droite, Klein n’a rien perdu de son sens de la mise en scène. Smoking noir, nœud papillon blanc et croix de l’ordre des archers de Saint-Sébastien autour du cou, il joue les maîtres de cérémonie. Un petit orchestre de violons et vio­loncelles interprète un accord unique en majeur, la Symphonie Monoton-Silence, de Louis Saguer. Elena, Mouna et Marlène avancent, entièrement nues. Tel un maestro, l’artiste dirige, sans jamais les toucher, les mouvements des trois femmes. Après avoir badigeonné leur corps de peinture bleue, elles impriment leurs formes sur de grandes feuilles de papier. Le public, composé de grands bourgeois et de femmes du monde, retient son souffle. Il règne, rapporte le chroniqueur de L’Express présent ce soir-là, « un silence d’église ».

Plongée dans la toile

Klein a pris un gros risque, comme le rappellera, en 2015, l’historienne AnnMarie Perl dans la revue universitaire Thresholds. Si le strip-tease est alors toléré, à condition toutefois que la créature garde ses derniers dessous, la France du général de Gaulle est corsetée. Il est admis de peindre d’après modèle vivant, à l’abri des regards dans les écoles d’art ou les ateliers, mais il est illégal de faire déambuler des femmes nues, même dans une galerie d’art.

« C’était une chorégraphie précise. Yves nous disait : “Mets la couleur là, puis ici.” » Elena Palumbo-Mosca, ex-modèle

Klein sait sa performance hors la loi et il doit s’assurer de la complicité du public pour ne pas être dénoncé. L’improvisation est un luxe qu’il ne peut se permettre : la veille, l’artiste et ses trois modèles ont tout répété. « C’était une chorégraphie précise, se souvient Elena Palumbo-Mosca, fière d’avoir pris part à l’histoire de l’art. Yves nous disait : “Mets la couleur là, puis ici.” Chacune de nous savait ce qu’elle avait à faire. » Elena étant la plus petite des trois, c’est à elle qu’incombe la tâche de réaliser un monochrome au sol, en se roulant sur une feuille de papier. « Yves m’avait dit : “Comme tu aimes plonger et nager, cette fois tu vas nager dans le bleu ! J’ai donc nagé dans le bleu et j’en ai rempli complètement le papier. »

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