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Royaume-Uni. Elizabeth II emporte le XXe siècle dans sa tombe

La reine du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, est décédée à l’âge de 96 ans. Son règne demeurera, dans les livres d’histoire, comme celui de la fin de l’Empire sur lequel le soleil ne se couchait jamais, selon la formule consacrée. Ni les frasques familiales, ni l’optimisation fiscale de ses avoirs n’auront entamé son aura auprès des Britanniques.

« The queen is dead ». Les Smiths l’avaient annoncée en 1984. La nouvelle est tombée il y quelques minutes. Elizabeth II, reine du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, est décédée à l’âge de 96 ans, en la résidence de Balmoral. Le communiqué de Buckingham Palace est venu ponctuer une montée chromatique protocolaire : visite des médecins à son chevet, arrivée des membres de la famille, présentateurs TV vêtus de noir de pied en cap.

Prend ainsi fin une sorte de « siècle élisabéthain » comme il y eut un siècle « victorien » et une « ère élisabéthaine » (seconde moitié du XVIe siècle). Celui attaché au nom de son arrière-grand-mère, Victoria, qui régna de 1837 à 1901, correspond à l’émergence de la Grande-Bretagne comme puissance industrielle et impérial. En somme, le siècle de Charles Dickens et de Rudyard Kipling (le « prophète de l’impérialisme britannique », dixit George Orwell).

Icon QuoteLe règne d’Elizabeth II demeurera­ dans les livres d’histoire comme celui de  la fin de l’Empire.

Le règne d’Elizabeth II demeurera, dans les livres d’histoire, comme celui de la fin de l’Empire sur lequel le soleil ne se couchait jamais, selon la formule consacrée (même si elle reste la monarque de 16 anciennes colonies britanniques, dont l’Australie et le Canada), de la domination industrielle du pays qui inventa le capitalisme, et sa transformation en puissance financière « européenne » puis « brexitienne ».

L’incarnation d’une stabilité

Lorsqu’elle accède au trône, à la mort de son père George VI, le 6 février 1952 (Winston Churchill était revenu au 10, Downing street depuis un an après en avoir été chassé par le travailliste Clement Attlee en 1945 et Harry Truman finissait son mandat à la Maison Blanche) son tendre âge de 25 ans fait s’enflammer le journal The Guardian : « Elle est notre reine, de par sa naissance. Cependant jamais couronnement n’avait entraîné une telle joie auparavant. » La retransmission en direct à la télévision de l’intronisation le 2 juin 1953 – la première du genre – donne un goût de modernité.

Soixante-dix ans après, il serait impétueux de mobiliser le même concept, tant la famille royale a été éreintée par les scandales à répétition (on y reviendra), mais la « monarchie » ne rencontre pas de vent contraire ou frondeur au sein de la population. Elizabeth II incarne, à en croire l’ensemble de la presse britannique, dans un rare consensus, un point de repère, une stabilité alors que des tempêtes ont frappé le pays (de la pandémie du Covid-19 au Brexit).

Comme si des millions de Britanniques s’abandonnaient, à travers cette reine, à une bouffée de nostalgie, dont les bras accueillants finissent toujours par étouffer. Le romancier Jonathan Coe, chroniqueur du pays à son ère néolibérale, a maintes fois rappelé que lorsque cette nostalgie se transformait en projet politique, cela donnait le repli et le nationalisme, donc le Brexit et Boris Johnson. Elizabeth II figure d’une certaine façon la face inoffensive – en tenues colorées et chapeaux improbables – de cette pièce. Inoffensive mais accessoirement financé par des deniers publics et pas qu’un peu : 75 millions d’euros par an. Ce qui n’empêche pas la famille royale d’utiliser les ficelles financières dernier cri en pratiquant « l’évitement fiscal » via des comptes offshore.

Une fonction symbolique

Fin 2017, l’enquête sur les Paradise Papers montrait que la reine d’Angleterre avait planqué 11,3 millions d’euros aux îles Caïmans et aux Bermudes. Des aristocrates épousant les mœurs rapias de la bourgeoisie voire de riches parvenus, cela ne manque jamais de sel.

A moins qu’elle ne soit, comme le suggérait l’hebdomadaire the Week « un élément essentiel de l’identité, de l’unité et de la fierté nationales », dans un pays divisé (quel pays ne l’est pas à l’heure du turbocapitalisme mondialisé ?). Une fonction symbolique qu’il ne faudrait pas négliger, car la politique est aussi faite de ce métal. En l’absence de ce symbole centripète, les forces centrifuges gagneront-elles en puissance que ce soit au sein même du Royaume-Uni (l’Écosse entend se diriger vers un deuxième référendum et l’appel à l’unité de l’Irlande de relève plus d’un cri dans le désert) comme dans le « Commonwealth », cette relique du passé impérial ?

Icon QuoteLa reine est « un élément essentiel de l’identité, de l’unité et de la fierté nationales ». The week
 

Rien n’aura altéré la solidité de cette institution, au point qu’un sondage indiquait que la résidente du palais de Buckingham bénéficiait de 70 % d’opinions favorables auprès du grand public (notons tout de même que 40 % des jeunes préféreraient changer de système et élire directement leur chef d’État). Ni les frasques du fils aîné Charles, ni la froideur étalée après la mort accidentelle de l’inclassable belle-fille Diana, ni l’exil d’Harry et Meghan, ni les turpitudes du fils cadet Andrew en compagnie de Jeffrey Epstein, ni les révélations d’historiens concernant le soutien effectif d’Edouard VIII aux nazis et « l’hitlérophilie » des élites anglaises.

Comme si un pays assistait, désensibilisé, à un énième épisode d’une série, une « telenovela » en gants blancs et mines flegmatiques. Et il faut dire que les dernières générations de Windsor ont servi de source d’inspiration à nombre de films (« The Queen », « Le discours d’un roi ») et série (succès de « The crown » sur Netflix). En matière de culture populaire, rien ne vaudra jamais – avis subjectif, on en convient – le « God Save The Queen » des Sex Pistols sur cette reine qui « n’est pas un être humain » et qu’il faut « sauver » « car les touristes, c’est du fric (…) dans le pays féérique d’Angleterre. » Les mots des poètes – mêmes à crêtes – ne prennent jamais une ride.

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