L’oud, c’est un peu le patchouli de l’âge du bling. La quintessence du voyage olfactif en Orient. En plus cher… Son prix surpasse parfois celui de l’or. En plus rare… Si la note fétiche des seventies est aujourd’hui omniprésente dans les flacons, l’oud est plutôt proposé dans une parfumerie plus confidentielle telles les lignes exclusives de maisons comme Dior, Guerlain, Armani, Dolce & Gabbana, Givenchy ou Tom Ford. Et en plus snob : son sillage boisé-cuiré-animal aux relents presque pharmaceutiques n’est apprécié que des initiés. 

Senteurs d’Orient 

Bois d’agar, bois d’aloès, bois des dieux, bois qui coule dans l’eau… Connu dans les pays d’Asie sous diverses désignations, l’oud (son nom arabe) est utilisé depuis des siècles à des fins médicinales, spirituelles et esthétiques. Il apparaît dans l’un des plus anciens textes de l’humanité, les Veda indiens, mais aussi dans la Bible. Plusieurs religions, notamment le bouddhisme, le brûlent pour aider à la méditation. Dans la culture musulmane, il est considéré dès le IXe siècle comme l’un des ingrédients fondamentaux de la parfumerie. Encore aujourd’hui, le Moyen-Orient baigne dans l’oud. Sous forme de copeaux, brûlé sur du charbon dans le bakhour, il imprègne vêtements et chevelures. Sous forme d’huile essentielle, plus animale – voire « tapis en peau de biquette retour de Marrakech », dixit le parfumeur Francis Kurkdjian –, il est intégré aux mukhallat, compositions parfumées sans alcool. On a même lancé un Persil à l’oud ! 

Précieuse pourriture 

Cet engouement a un prix. Deux ou trois variétés d’arbres tropicaux du genre Aquilaria produisent l’oud. Elles poussaient jadis un peu partout dans les forêts d’Asie du Sud-Est, mais ont été décimées. Seul un spécimen sur cent recèle en effet la précieuse résine, mécanisme de défense sécrété par l’arbre lorsqu’il est infecté par certains champignons. Mais comme il est impossible de deviner lequel, il faut en abattre un nombre considérable. Ces Aquilarias sont désormais protégés dans de nombreux pays. Pour répondre à une demande croissante, on cultive les essences auxquelles on inocule les champignons. Ce qui n’empêche ni le braconnage des plantes sauvages ni le « trafiquage » de l’huile essentielle, obtenue par distillation des copeaux. Lorsqu’elle parvient sur les marchés de Bombay, Bangkok ou Singapour, elle n’est jamais pure : au fil des intermédiaires, elle aura été diluée avec des substances moins onéreuses. L’ingrédient est donc inutilisable pour nos parfumeurs. Solution : travailler directement avec les paysans en Thaïlande, au Laos ou en Birmanie. Ou alors, plan B : faire de l’oud… sans oud. 

Mirage miracle 

La plupart des jus qui le revendiquent n’en contiennent pas une goutte. Pour le reproduire, on combine des molécules de synthèse boisées-ambrées avec le patchouli, le vétiver, l’encens et, surtout, le cypriol, dont l’odeur boisée, terreuse, fumée et un peu « lait de yak » est assez approchante. Là-dessus, les marques cultivent en général un flou artistique. La note star de l’Oud Collection lancée par Tom Ford Private Blend serait-elle un mirage ? Qu’importe ! On se laisse prendre à cet oud attendri par des pétales de rose confits dans Oud Fleur, ou par les volutes miellées-amandées de Tobacco Oud. 

Un sillage de fauve et d’encens 

Si les parfumeurs tournent ainsi autour de l’oud, ce n’est pas que pour faire la danse des sept voiles au duty-free de Dubai, même si les consommateurs des pays du Golfe dépensent cinq fois plus que les Européens pour se parfumer. Cette note pourrait bien glisser du registre « french-oriental » à leur palette de tous les jours. Via l’accord rose-oud, par exemple. Un classique de la parfumerie arabe, mais aussi une variation intéressante sur le non moins classique accord rose-patchouli popularisé par un Aromatics Elixir de Clinique. L’oud pourrait également remplacer les matières premières d’origine animale, aujourd’hui bannies pour des raisons d’éthique ou d’image : ambre gris, musc, civette ou castoréum… Et si l’ingrédient le plus hype de la décennie n’était pas un retour des senteurs refoulées par nos sociétés aseptisées ? Dans son sillage de fauve et d’encens, ce sont les facettes les plus antiques de l’art du parfum qui sont ressuscitées : l’érotisme et le sacré.